Pour se définir et se comprendre, nous avons besoin de modèles. Nous sommes tous des êtres uniques, mais il nous arrive de suivre une trame qui se répète : c’est ce qu’on appelle un archétype. Pris dans ce maillage, nous ne comprenons pas toujours le sens de nos expériences. Pour mieux saisir ce sens et reprendre confiance en soi, il y a les dieux et déesses grecs. Chaque divinité raconte une histoire qui personnifie une quête, ainsi que des qualités et des défis particuliers à chaque type de personnalité. En lisant les histoires des divinités grecques et en accédant à ce savoir profond, nous nous sentons moins seuls et moins perdus. Ces 15 archétypes permettent de porter un nouveau regard sur notre parcours et d’élargir notre vision : ainsi nous pouvons envisager des ébauches de réponse à notre quête personnelle, en augmentant les possibilités, les ressources et la créativité. Nous sommes tous un savant et merveilleux mélange de ces 15 dieux et déesses – avec une, voire plusieurs dominantes : voyez dans quels dieux ou déesses vous vous reconnaissez…
Il était une fois, 8 dieux…
Zeus
L’histoire commence ainsi… Chronos avalaient ses enfants de peur de se faire renverser par son propre fils. Leur mère Rhéa décida de sauver le dernier, Zeus, en le remplaçant par une pierre recouverte de ses habits de bébé : Chronos dévora la pierre croyant ingurgiter son propre fils. Zeus fut ensuite caché dans une grotte et y grandi nourri par une nymphe-chèvre, Amalthée. Devenu adulte, il donna à Chronos une potion vomitive qui le fit régurgiter les frères et sœurs avalés : ainsi naquirent Poséidon, Hadès, Hestia, Déméter et Héra.
Après de nombreuses batailles pour supplanter les Titans, Typhon et les Géants, Zeus sort vainqueur grâce à la ruse. Il forme avec ses deux frères une trinité : Zeus prend le royaume du ciel (le monde de l’esprit), Poséidon celui la mer (le monde des émotions) et Hadès celui de la terre, les Enfers (le monde de l’inconscient). L’esprit, les émotions et l’inconscient sont les trois parties qui divisent la psyché de l’homme. Trônant au centre de l’Olympe, Zeus devient ainsi la troisième figure qui ordonne le monde né du chaos. A l’origine, avec Ouranos, le monde n’avait pas d’altérité et était indifférencié dans la toute-puisssance de la mère Gaia ; avec Chronos, apparaît le principe de réalité et de différenciation, mais le père est dévorateur et enferme ; avec Zeus, la souveraineté se partage, mais l’esprit (la lumière) prédomine au détriment des émotions et de l’inconscient (l’ombre).
Le nom Zeus signifie “briller” : il est celui qui illumine et domine. Son œil voit et connaît tout, comme celui de l’aigle, à la vision d’ensemble et la vue perçante. Zeus est dans son élément avec l’éther, le ciel et les phénomènes célestes. Il habite les sommets, en haut des montagnes et des gratte-ciels, fait la pluie et le beau temps, détient le pouvoir du feu et de la foudre avec laquelle il règne et punit. Son but est d’établir son royaume : pour cela, il utilise l’intelligence de la ruse (il a avalé sa première épouse, Métis, pour incorporer son intelligence et sa prudence), s’allie à la force des autres, utilisant les réseaux et rassemblant les hommes de pouvoir autour de lui. Il est le patriarche qui préside au maintien des lois et se pose en protecteur. Par le mariage et sa nombreuse progéniture, par la taille-même de sa maison, il consolide sa puissance. C’est que la paternité affirme sa virilité : ce père mentor place ainsi sur l’échiquier ses enfants, subordonnés, et établit une dynastie pour que sa volonté soit présente y compris après sa mort. Dallas, ton univers impitoyable… Son pouvoir se déploie sur tout ce qui porte un jupon : il prend de multiples formes – se transformant en cygne, taureau ou même en prenant l’aspect d’une connaissance ou du mari – pour charmer et tromper la vigilance de ses futures conquêtes, mais aussi détourner la jalousie vindicative de son épouse légitime Héra… Jusqu’à ce que le couple mythique se sépare pour mieux se retrouver autour d’un rire réconciliateur.
Poséidon
Poséidon obtient le royaume de la mer, mais n’est pas content. Il est démangé par l’envie de pouvoir régner sur plus grand. Il s’oppose à Athéna pour gagner le cœur des Athéniens, mais son puits d’eau saumâtre ne sera pas aussi séduisant que l’olivier offert par sa rivale : de rage et désespoir, en mauvais perdant, il inondera toutes les plaines environnantes et retirera aux Athéniennes le droit de vote ! Poséidon vit sous la mer, qui peut être calme ou déchaînée : on ne sait jamais quand il va surgir sur son charriot tiré par de magnifiques chevaux de feu. La mer représente le monde des émotions, des instincts et du refoulé : c’est ce qui est réprimé chez les hommes qui veulent tout contrôler. L’eau, qu’on ne peut ni attraper, ni arrêter, symbolise les émotions qui colorent notre vécu et nous donnent des indications précieuses sur nos expériences ; encore faut-il les écouter. Plonger sous la mer, c’est pouvoir sonder ce monde effrayant et merveilleux, jusqu’à atteindre les eaux les plus troubles de l’inconscient. Poséidon connaît les turbulences, les tempêtes dévastatrices, les rires tonitruants et les cris qui terrorisent, la rage et les sentiments puissants qui inondent la personnalité et noient la rationalité… Cette profondeur émotionnelle, chère aux artistes, écoutez comme elle résonne dans la 5e symphonie de Beethoven ! Voilà une personnalité qui a besoin de vivre dans un environnement naturel, soumis aux cycles, pour élaborer sa météo personnelle. Quand une émotion est reconnue, tout s’apaise. Ainsi Poséidon était-il aussi honoré pour sa clémence et son aspect pacifique, capable de calmer la mer instantanément. Cet homme fort symbolise aussi la virilité capable de féconder tous les aspects de la femme : il aime sexuellement autant la jeune fille, que la femme mure ou vieillissante. Le “mari de le terre”, en frappant celle-ci de son trident, l’embrasse et la fait trembler pour exploiter ses ressources. C’est la vigueur de l’homme sauvage, instinctif comme le cheval et puissant comme le taureau, qui utilise la force pour séduire… Mais grâce au dauphin, sensible, attentionné et communicatif, il épouse celle qu’il avait violé, Amphitrite, et peut se transformer en roi fier, courageux et aimant.
Hadès
On l’appelle “l’invisible” car il est le moins personnifié des dieux. Il est aussi surnommé “le riche”, parce qu’il règne sur un royaume aux nombreux sujets : c’est dans le monde souterrain, les Enfers, que vivent les âmes. Ce royaume d’ombre, effrayant et craint, symbolise l’inconscient collectif : on y trouve tout ce qu’on pourrait imaginer et qui n’a jamais été, tous les possibles, les mémoires, le savoir intuitif et les archétypes, ces structures humaines universelles qui se réactivent et renaissent. Hadès se manifeste aussi par la dépression qui réactualise nos expériences refoulées et nous coupe de ce qui fait sens. C’est le spectre de la mort qui nous conduit dans les Enfers : la mort d’une relation, d’une façon d’être, d’un but, de l’espoir… et aussi la perspective de la mort physique. La descente aux Enfers est ce que va expérimenter celle qui deviendra la reine des Enfers, Perséphone, la jeune fille de Déméter : Hadès l’a prise pour femme après l’avoir enlevée et violée sous l’œil consentant du père. L’histoire de ce fameux enlèvement, vous l’avez sans doute entendue… Perséphone cueillait des fleurs avec des amies et s’éloigna pour contempler un magnifique narcisse, sorte d’appât : au moment de le cueillir, la terre s’ouvrit devant elle et Hadès apparu sur son chariot conduit par des chevaux noirs. Il la saisit pendant qu’elle appelait à l’aide son père Zeus, qui ignora ses cris. Puis le chariot retourna dans les enfers et la terre se referma comme si rien ne s’était passé. Hadès n’est plus jamais ressortit de sous terre : tel un reclus, il vit avec les ombres, là où peu de personnes s’aventurent. Plutôt en retrait, observateur et introverti, Hadès est souvent considéré comme un outsider, un marginal solitaire, étranger et perdu dans le monde productif, sans image sociale bien définie. Il valorise la subjectivité, les rêves, les sensations intimes, les richesses et les visions intérieures : cette perception intuitive fait de Hadès le “bon conseiller” pour les choix personnels. Plongez-vous dans l’univers de Fellini ou écoutez Celine lu par Fabrice Lucchini : un monde tout à la fois riche, source de connaissance et de créativité qui fertilise et nourrit la vie, et déroutant ou terrifiant pour l’esprit rationnel. En se familiarisant avec ce sombre royaume, originairement féminin et considéré comme la caverne sacrée de la renaissance, on peut découvrir les richesses cachés dans l’obscurité, la froideur, les ténèbres et la sombre nuit de l’âme.
Apollon
Avec son physique d’éphèbe, ce “kouros”, dieu du soleil, brille comme son père, mais reste à sa place de second. Apollon, fils préféré de Zeus, est un athlète délicatement musclé et un musicien performant qui réussit ses études et sa carrière. Il possède les attributs qui apportent le succès, deux instruments à cordes : la lyre et l’arc. Excellent archer, comme sa sœur jumelle Artémis (déesse de la lune), il est sûr d’atteindre les objectifs qu’il se fixe : ceux-ci sont toujours visibles. Pour lui, c’est sûr : deux et deux font quatre. Il croit en la logique, valorise l’effort constant de la volonté, observe et agit avec distance et prudence. Pas d’excès : ici, tout n’est qu’ordre, pureté et harmonie. Une harmonie cosmique où musique et mathématiques se rejoignent, comme les notes pures d’un concerto de Bach élèvent l’esprit et emportent vers la vérité. Son mot d’ordre : apporter la forme et les lois pour organiser un monde de paix. Il est le législateur qui structure la communauté et les institutions, grâce notamment à l’autorité acquise sur l’oracle de Delphes : il seconde ainsi son père, avec ses dons de prophétie. Ce gendre idéal, sorti tout droit d’une grande université ou fraternity, pourvu des bonnes notes et de la bonne impression, au CV impeccable, deviendra un parfait corporate guy qui porte à merveille le costume trois pièces et apprécie le travail d’équipe. Réputé pour sa grande beauté, il est paradoxalement assez malheureux en amour : jugé souvent trop peu physique ou émotionnel, il est attiré par son contraire, des femmes passionnelles, imprévisibles et irrationnelles, qu’il essaie de contrôler. Il connaît l’isolement, mais sa distance émotionnelle lui permet de dégager de son expérience des leçons spirituelles. Ainsi, grâce à la musique et la danse, les hommes arrivent à supporter la misère de leur condition.
Hermès
Voilà un petit malin ! À peine né, Hermès sort de son berceau : il joue avec une carapace de tortue, y coud des boyaux et invente la lyre ; puis, la faim se faisant sentir, il vole le troupeau de vaches de son frère Apollon, brouille les traces en faisant marcher les vaches à l’envers et en mettant des branchages sous ses pieds, cuit deux vaches et les mange, ensuite il cache soigneusement le troupeau ; enfin, il retourne à son berceau et se recouche, ni vu ni connu. Découvert par Apollon et Zeus, il finit par avouer son méfait. Pour le remercier, Zeus lui laisse le troupeau de vaches et Apollon reçoit la lyre en échange. Hermès incarne l’esprit inventif qui obtient tout ce qu’il veut par la ruse et qui charme par son discours. Dieu du vent, il file à l’anglaise et on le nomme protecteur des voyageurs, businessmen et voleurs. Toujours en mouvement, il passe d’un schéma, d’une idée, d’une personne, à une autre. Il est celui qui transporte les mille idées qui émergent à la seconde, les croise et les fait voyager, par terre, air et mer. Avec Aphrodite, son amante, il aime refaire le monde. Pour lui, pas question de prendre le chemin le plus conventionnel : il essaie des raccourcis, défriche de nouveaux territoires, développe l’innovation et la créativité pour faire autrement. C’est le petit frère, moins talentueux que l’aîné, mais qui par la ruse se hisse au même niveau que les grands. Son business, c’est de communiquer et de fédérer : Hermès est le messager des dieux. Il agit partout à la fois : il délivre Perséphone, sauve Arès, aide à la naissance de Dionysos… Il guide les âmes dans les enfers, aide ceux qui cherchent leur chemin ou sauve les innocents et vulnérables, tel un Robin des Bois. À la fois good boy et bad boy, tout en profondeur et en légèreté, il fascine. Un homme charmant, difficile à capter, à l’aise partout, ne montrant que ce qu’il veut bien montrer et ne disant que ce qu’on veut entendre, il peut disparaître aussi vite qu’il est apparu. Il est l’amant qui s’échappe, un Peter Pan qui ne grandit pas, mais aussi le thérapeute qui soulage, l’innovateur qui réussit. Il est l’alchimiste qui peut réunir les opposés et transformer le sens de l’expérience en quête spirituelle.
Arès
Dieu de la guerre, Arès est l’image masculine de la puissance physique, de l’intensité et de l’action immédiate. Voilà un homme poussé par son cœur et ses instincts qui agit et réagit physiquement. Son sang ne fait qu’un seul tour à la moindre provocation. Arès est un homme guidé par les sensations et les muscles de son corps, qui agit avant de penser… On peut dire qu’il rebute l’intelligente et fine stratège Athéna. Quand il est blessé lors d’un bataille, les dieux se moquent de lui et Zeus le répudie parce qu’après tout, les bains de sang, il aime ça ! Son côté irrationnel et impulsif, son esprit de querelle l’ont mis sur le banc de touche dans un monde régi par la rationalité. Souvent désigné comme bouc-émissaire, il dissimule pourtant un cœur et un courage exemplaire : il se jette dans la bataille sans avoir pris le temps de mesurer son ennemi. En bon protecteur, il veille sur sa famille, sa communauté et personne n’ose s’attaquer à lui. Avec son tuteur Priapus, Arès a appris la danse avant le combat : aujourd’hui encore, les grands joueurs de rugby, les All Blacks, dansent et chantent avant chaque match ! Certaines personnalités ont besoin de bouger pour penser… Voyez danser Baryshnikov : quand les émotions et le corps bougent ensemble, la grâce émane de lui. Une nature intense et sensuelle, vibrante comme la flamme, qui vit l’instant présent, sans préoccupations ni prises de tête… Arès croque dans la pomme avec plaisir et appétit : qu’on ne vienne pas l’embêter. Il aime boire et manger, se retrouver au bar avec ses “potes”, se dépenser physiquement et faire l’amour. Sa nature passionnée et physique, son intégrité émotionnelle font de lui l’amant préféré d’Aphrodite. Une vie de plaisirs simples lui convient parfaitement, si ce n’est cette étiquette de macho et bagarreur qui lui colle à la peau. Peut-être parce qu’enfant il a été sauvé de justesse par Hermès, après avoir été enfermé pendant treize mois dans une jarre par deux géants…
Héphaïstos
Dieu du feu souterrain, créateur de génie, blessé dans sa plus tendre enfance par sa propre mère Héra, il brûlera sa souffrance au fer chaud. On dit qu’Héra a fait Héphaïstos toute seule, par parthénogénèse, pour se venger de la naissance d’Athéna. Mais ce fils, né laid et boiteux, humilia Héra et elle le chassa de l’Olympe. On raconte aussi qu’Héphaïstos, assistant à une querelle entre Héra et Zeus, pris parti pour sa mère : Zeus, en colère, le jeta de l’Olympe avec une telle vigueur que le pauvre enfant mit plusieurs jours à tomber. Son handicap symbolise toutes les blessures archaïques : c’est le mal-aimé, capable de sentiments forts et intenses, hyper-sensible à tout ce qui le traverse, rejeté et dévalué socialement. Héphaïstos personnifie “l’éclat de la flamme” : né d’une petite étincelle, il se fortifie et se révèle en grandissant. Ce feu qui émerge des profondeurs de la terre comme la lave d’un volcan est intense et passionnel : il transforme le fer brut en objet d’art. C’est au creux d’un volcan que se trouve sa forge : lieu alchimique de transformation, il y créera les plus beaux objets, bijoux, palais, armes, machines, créatures… Ainsi, ses œuvres d’art et son génie créatif permettront à ce fils rejeté de réintégrer l’Olympe. Héphaïstos est le seul dieu à travailler : pour lui, le travail est une création qui donne un sens à sa vie. Seul “dans sa grotte” (l’équivalent de l’atelier, du studio ou du laboratoire), complètement absorbé et identifié à sa tâche, il répare inlassablement : grâce à son travail, il peut se refléter intact et en bon fonctionnement. Il est né laid et il crée de la beauté ; il est né boiteux et il fait fonctionner ce qui était cassé. La belle Aphrodite, son épouse, l’a bien compris : cet homme sait révéler la beauté et elle a reconnu son potentiel. Souvent absent et inadapté socialement, ce malheureux mari, oh si souvent cocu, sera le bouffon de l’histoire, raillé par tous les autres dieux. C’est que les femmes sont importantes pour lui : elles peuvent le “faire” ou le “briser”. En développant ses talents et sa créativité, en trouvant un bon agent comme Athéna, il pourra devenir son propre bon parent.
Dionysos
Dieu important et complexe, élément importun qui dérange et cause la folie ou le conflit là où il passe, Dionysos a été le seul fils materné par Zeus. Parce que la mère, la mortelle Semele, a demandé à Zeus de se montrer à elle sous son véritable aspect, le dieu de la foudre la brûla alors qu’elle était enceinte de Dionysos. Zeus sauva Dionysos en l’arrachant de l’utérus de sa mère et en le cousant dans sa propre cuisse, qui servit de couveuse jusqu’à ce que Dionysos soit prêt à naître. Zeus fut aidé par Hermès, présent lors de cet accouchement hors du commun. Pour échapper à la colère de Héra, Dionysos fut déguisé en fille. Ce garçon sensible, émotif, va grandir dans les jupons de belles nymphes et sera élevé comme une fille. Ce destin singulier lui donnera un sens de l’extraordinaire. Son tuteur fut Silénus, qui lui enseigna les secrets de la nature et la préparation du vin. Proche de la nature, des femmes et de l’inconscience de l’ivresse festive, Dionysos va faire des expériences d’extase et de pulsions contradictoires qui le conduiront à errer de par le monde, semant la folie et la terreur. Son cortège était formé par le dieu Pan, les Ménades, les nymphes et satires, des bergères et adoratrices. Lors de son retour à la terre natale, il fut purifié de toute la folie et violence par les grandes déesses qui lui enseignèrent leurs mystères et rites initiatiques, ce qui fait de lui une figure d’enfant divin et de sauveur… Une sorte de Jésus (ce n’est pas un hasard si les prêtres portent des robes, comme Dionysos). Il est le seul dieu qui sauve et rétablit les femmes – comme il le fera en consolant et épousant Ariane abandonnée par Thésée – parce qu’il se sent intiment relié à elles. Il sauvera sa propre mère qu’il ira récupérer dans le royaume des morts. Enfin, il invite les femmes à sortir de leur vie ordinaire pour se révéler au contact de la nature, de la musique et faire l’expérience de l’extase. L’extase, c’est s’ouvrir à des états de conscience modifiée, oser se montrer sous des aspects inconnus, pouvoir se libérer à travers les masques du carnaval. Ce médiateur entre le monde invisible et physique a des allures de mystique androgyne, parfois drogué, parfois dangereux, mais qui intègre les deux dimensions, masculine et féminine. C’est le plus féminin des dieux !
Au tour des 7 déesses…
Artémis
Artémis représente l’aspect sauvage, libre et indompté de la femme. En tant que déesse de la lune, elle est proche de ses instincts, de ses intuitions et de sa nature profonde. Elle est la fille bien aimée de son père, Zeus. Elle a quatre ans quand elle le rencontre et celui-ci, charmé, accède à toutes ses demandes : elle ne se mariera pas et veut vivre dans la forêt. Elle sait ce qu’elle veut ! Et c’est ce qu’elle fera : avec ses “sœurs”, les nymphes, elle parcourt les montagnes et les clairières, vivant à l’air libre des amazones. Elle se sent proche de la terre vierge et des lieux en marge ; elle aime et protège la végétation et les sources. Elle respecte les animaux et fait confiance à sa saine animalité : voilà une belle plante qui n’use pas de la séduction préfabriquée et qui “court avec les loups”. Son sens de l’intact la désigne protectrice des jeunes filles et “grande sœur”, amenée à défendre les droits des femmes. Une féministe qui cherche à libérer les femmes asservies ou domestiquées, une nature sauvage qui revendique sa liberté et l’affirme jusqu’au bout des ongles. En tant qu’archère, elle a reçu un arc qui ne rate jamais sa cible ! Elle vise et va droit au but en restant concentrée sur son objectif. Indépendante et combattive, elle aime se mesurer physiquement à l’homme et se considère son égale. Parce qu’elle est l’aînée, sortie la première, c’est elle qui, à peine née, aide sa mère Leto – victime de la colère vindicative d’Héra, épouse légitime de Zeus – à accoucher du frère jumeau, Apollon, dieu du soleil : 9 jours et 9 nuits de long labeur qui font d’Artémis la déesse de la naissance. Cette chasseresse entretient un lien étroit avec le sacrifice du sang : elle protège la vie et dispense la mort, dans un double mouvement de bienveillance et cruauté. La nature est respectée : respecter, c’est regarder par deux fois.
Athéna
Parce qu’un oracle avait prédit à Zeus que son propre fils le détrônerait (comme lui-même avait détrôné Cronos qui avait détrôné Ouranos), Zeus avala sa propre épouse enceinte et ce fut la fin de Métis. Au bout d’un certain temps cependant, Zeus fut pris d’un mal de tête si violent qu’il lui sembla que son crâne allait éclater et il se mit à pousser de tels cris que le firmament entier lui fit écho. Hermès arriva en courant et persuada Héphaïstos de faire une brèche dans le crâne de Zeus. De ce crâne tranché jaillit Athéna, adulte, armée et casquée, poussant un puissant cri de guerre ! Femme de tête ([ath] signifie “tête” ou “sommet”), Athéna personnifie l’intelligence et la sagesse, héritée de sa mère Métis qu’elle n’a pas connue. Grâce à son armure, elle reste centrée sur son objectif, ignorant les plaintes ou soucis des autres. Comme Arachnée qui l’a défiée, elle tisse sa toile, fait des liens, imagine et construit ce qui l’intéresse, en avançant méthodiquement, rail après rail… La voici patronne des arts et techniques. C’est l’intelligence qui s’active en travaillant avec ses mains et agit ainsi sur les représentations mentales, pour avancer avec habileté et détermination. Coco Chanel l’avait bien compris… Rien n’est impossible pour elle, au contraire : oser penser l’impensable, renverser ses croyances et la victoire est au bout. Athéna est la guerrière et stratège victorieuse qui protège les héros de la guerre de Troie, qui bat Poséidon en offrant aux Athéniens l’olivier (d’où le nom de la ville) et s’oppose à la brutalité émotionnelle de Arès. Les émotions ne doivent pas faire perdre la tête ! C’est avec Athéna que l’on déroule sa légende, en dépassant les obstacles, pour aller vers une nouvelle identité et vitalité. Comme tout enfant qui met son énergie au service de la connaissance, c’est avec elle qu’on apprend à maîtriser le monde qui nous entoure, à structurer et à prendre sa place. Fille préférée de Zeus, elle défend l’ordre patriarcal et aime travailler avec les décideurs et ceux qui ont le pouvoir. C’est une élève studieuse, une business woman performante, excellente conseillère, qui évite le conflit autant que se peut mais s’engage avec loyauté quand celui-ci devient inévitable. Si l’intelligence est personnifiée par une figure féminine, c’est pour nous inviter à nous ouvrir à l’intelligence sensible, celle qui sait quand c’est le bon moment pour agir, représentée par Kairos, un jeune éphèbe qui ne porte qu’une touffe de cheveux sur la tête et qu’on peut saisir au moment où il passe, pour arrêter le temps et saisir l’occasion.
Hestia
Hestia (qui signifie l’essence des choses, d’après Platon) est la déesse la moins connue et la moins représentée, mais présente partout. Zeus lui a donné ce merveilleux privilège à la place du mariage : elle est symbolisée par le feu qui brûle au centre de chaque maison, village ou cité, et honorée dans tous les temples. Elle est une femme d’intérieur et son temple est sa maison. À l’intérieur du cercle, rester au centre de soi-même, fidèle à son intention : vivre et servir religieusement sa vie, lui redonner un sens sacré. Hestia personnifie le feu sacré qui brûle en chacun de nous, qui donne un sens à la vie et ne doit jamais s’éteindre. Elle est la flamme qui nous guide… Hestia se dédit ainsi à sa quête intérieure et spirituelle. Elle prend son temps et respecte son propre rythme : consciencieuse et absorbée par sa tâche, elle vit dans l’instant présent et fait chaque chose avec une attention méditative, sans se mêler à la vie extérieure, ni aux conflits. Peu encline à se montrer et à se faire remarquer, cette “discrète” préfère son chez-soi pour s’ouvrir à la relation intime avec elle-même. Sans doute est-elle la fille qui passa le plus de temps dans le ventre de son père Chronos… Hestia veut rester “vierge” : elle refuse les avances de Poséidon et d’Apollon, se détournant ainsi de l’intensité émotionnelle et de l’enfermement du mental. Voilà une femme qui sait dire “non” et met des limites pour mieux dire “oui” à elle-même. Le voile qu’elle porte sur la tête lui permet de rester centrée sur ce qui est consistant et a de la valeur. Intégrité, pureté, clarté émergent ainsi du brouillard des sens et des émotions. Hestia, gardienne du feu intérieur, nous ouvre à l’essentiel, le Soi, dans la mesure et l’attention qu’elle porte à chaque geste quotidien.
Héra
Héra est la forme féminine du mot grec “héros”. Sœur et épouse légitime de Zeus, née jeune fille, cette très jolie déesse attira Zeus qui se transforma en petit oiseau pathétique et frissonnant pour l’attendrir. Elle lui résista jusqu’à ce qu’il lui promette de l’épouser : elle devint ainsi “la grande lady” et ensemble ils vécurent trois cents ans de lune de miel. Cette femme rayonnante, sûre d’elle-même, qui peut avoir une certaine autorité sur les autres, efficace dans la gestion de la vie sociale du couple, est solennellement vénérée comme déesse du mariage. Telle une Grace Kelly, le jour de son mariage est le plus beau jour de sa vie ! Seule déesse mariée, Héra représente l’amour romantique, la capacité à s’engager et à s’unir à l’homme, à coopérer à travers les épreuves : elle sacrifie l’ego au profit d’une relation à laquelle elle reste fidèle “pour le meilleur et pour le pire”. Et le pire, elle en mangera, parce qu’il n’y a pas plus chaud lapin que Zeus ! Protectrice du couple, chacun étant partenaire à égalité, elle place son mari au centre de sa vie parce que son identité d’épousée lui confère une certaine complétude. Elle voit dans la connexion à travers le mariage une issue à sa propre individualité. Elle incarne ainsi une invitation au mariage sacré : l’union extérieure est une voie d’évolution vers l’union intérieure, du masculin et du féminin en chacun de nous. Mais aussi connue pour sa rage, elle réagit à la perte en étant dans l’action : confrontée à son impuissance en tant que femme rejetée, elle se montrera vindicative et rancunière, poursuivant les nombreuses maîtresses de Zeus – ainsi que les innocents enfants issus de ces relations adultères – et leur faisant subir les pires sévices. Ces deux puissants aspects contrastés ont besoin d’être réconciliés par la confiance et la valeur qu’Héra se donne à elle-même. C’est en acceptant la séparation et en assistant au mariage de Zeus avec une statue qu’elle comprend qu’elle seule est son unique et véritable “amour”.
Déméter
Être mère, sinon rien… Déesse de la fertilité, Déméter représente la mère nourricière qui préside à toute forme de croissance, de reproduction et de renouveau – en particulier tout ce qui touche à la vie végétale. Elle est incarne la fécondité et la régénération. C’est la femme qui exulte le jour où elle est enceinte, qui a besoin d’être entourée d’enfants et de nourrir tout le monde. Au-delà du lien maternel, elle personnifie l’amour inconditionnel, la générosité et l’abondance : prendre soin, donner sans compter, se sacrifier et faire passer les besoins des autres avant les siens… parfois jusqu’au burn-out ! Déméter aime sa fille Perséphone plus que tout au monde et toutes deux sont très liées. Quand celle-ci disparait, Déméter devient folle de désespoir et part à sa recherche. Pendant neuf jours d’errance, Déméter parcourt la terre en tous sens : gagnée par la dépression, elle refuse de se nourrir, ne se lave plus et se laisse dépérir. Arrivée à Eleusis, elle est accueillie par Baubô, une déesse peu commune : alors que Déméter prend appui sur une fontaine, elle voit approcher un corps sans tête posé sur une paire de jambes, des bras en guise d’oreilles coiffées d’une chevelure abondante, des yeux dessinés à la place des seins et une bouche se confondant avec la vulve. C’est de cette bouche que Baubô régale Déméter de quelques plaisanteries salées. Déméter se met à sourire, puis à glousser, enfin à rire d’un rire profond, un rire venu du ventre qui tire Déméter de sa dépression : elle accepte enfin de se nourrir, ce qui lui donne suffisamment d’énergie pour continuer à rechercher sa fille. Parce que Déméter, attristée par la perte, provoque la famine sur la terre, Zeus doit intervenir. Perséphone lui sera alors rendue, mais celle-ci ayant mangé sept grains de grenade dans les Enfers, elle ne pourra passer que six mois par an avec sa mère. Ainsi sont nées les saisons : le printemps et l’été avec Perséphone, l’automne et l’hiver quand Perséphone redescend en Enfers. Toutes deux sont vénérées comme déesses des mystères d’Éleusis : une invitation à reconnaître les cycles de la vie et à se reconnecter à la créativité. La perte, c’est le nid vide ; se séparer de ses enfants et les aider à devenir autonome est un vrai défi pour une femme Déméter.
Coré-Perséphone
Perséphone, avant de s’appeler ainsi, est Coré : la jeune fille sans nom. Fille de Déméter, Coré est une belle jeune fille “endormie”, encore inconsciente de son pouvoir de séduction. Elle représente une personnalité floue, sans contours précis et qui ne se laisse pas définir facilement. Éternelle adolescente, elle refuse de se confronter à la réalité et de choisir, pour rester dans le tout-possible. Objet de désir qui cherche avant tout à plaire, elle est capable de se dissimuler pour correspondre aux attentes des autres et délègue son pouvoir en attendant le prince charmant… Coupée de ses sensations corporelles, tel un esprit en lutte contre une matérialité qui enferme son essence dans ce corps qu’elle vit comme une armure, elle se laisse aller à la rêverie et au Never Never Land de Peter Pan. Pour devenir Perséphone, elle devra se faire enlever par Hadès, le dieu des Enfers, avec l’accord de son propre père Zeus. Perséphone se retrouve alors seule dans ce monde souterrain, froid et effrayant, que sont les Enfers, coupée du seul lien qu’elle connaissait, sa mère. Elle vit la chute, la perte et la dépression dans sa plus profonde expression. Les Enfers sont le lieu de toutes les expériences refoulées et non reconnues, mais aussi celui des richesses possibles, du potentiel endormi, de l’intuition et de l’imagination active. C’est grâce à cette descente, à son “oui” inconscient à Hadès, et par l’acceptation de cette vie partagée entre deux mondes, celui de la conscience et de l’inconscience, qu’elle accède à la connaissance et à son individualité. Parce qu’elle a mangé des graines de grenades, elle ne pourra rester auprès de sa mère : Zeus a tranché, Perséphone passera six mois avec Hadès sous terre et six mois sur terre avec sa mère. Elle crée ainsi les cycles : le cycle des saisons, le cycle vie-mort-vie, le cycle menstruel… Elle passe du statut de victime à celui de reine et affirme sa puissance en reconnaissant son potentiel sexuel, ses qualités d’intuition, d’imagination, de vision, ainsi que son pouvoir de transformation et de renaissance. Pour renaître, il faut accepter les temps de jachère, flirter avec la perte et la mort… Perséphone incarne le printemps-même, l’éternel renouveau possible.
Aphrodite
Unique déesse sortie adulte des flots, belle d’entre les belles, sa naissance mêle sexe et écume : l’océan primordial fécondé par le sperme d’Ouranos (premier père), au moment de sa castration par le fils Cronos, donne naissance à la déesse de l’amour et de la beauté. Aphrodite apparaît sur l’île de Chypre et quand ses pieds foulent le sol, des fleurs jaillissent et illuminent son passage. Aphrodite est l’essence même de la bien-aimée, dont tous tombent amoureux et qui s’aime suffisamment pour s’offrir joyeusement et sans arrière-pensée. Elle est la seule déesse à choisir ses nombreux, très nombreux amants : des dieux comme Arès ou Hermès, et des mortels… Mais elle prend pour mari Héphaïstos, dieu de la forge, le plus laid mais aussi le plus talentueux des dieux. Elle le fertilise parce qu’elle voit son potentiel réalisé : telle une muse, elle le met en lumière ! Aphrodite transforme en or tout ce qu’elle touche. Pour elle, la beauté, la volupté, les dépenses sont des bienfaits hautement essentiels. Ce voile doré qu’elle jette sur son chemin magnifie l’expérience, comme dans l’état amoureux : chaque personne est transformée dans la rencontre. Sous sa lumière dorée, on se sent plus beau, plus spécial : le champ magnétique se charge érotiquement et tous les sens sont en éveils ! “Poupoupidou”, chantait Marylin… Cette rencontre “consommée” aboutit à une pro-création ou création : un nouvel être, un nouveau monde, une nouvelle idée… Être amoureux, c’est créer du nouveau, être connecté au désir et à la vitalité. C’est l’essence même de tout travail créatif, qui nécessite un engagement intense et passionné comme avec un amant. Cette énergie sexuelle et vitale pousse à accomplir ce qu’on n’aurait pas osé faire dans un état de belle-au-bois-dormant endormie et permet de vivre les aspects opposés pour accéder à la synthèse : quitter la ligne de résistance pour rencontrer l’inconnu. D’où son nom de déesse alchimique… Tout comme Hermès, son amant avec qui elle aime refaire le monde. Aphrodite, déesse de l’amour sexuel, peut faire peur : elle vit l’instant présent sans tenir compte des conséquences et se soumet à l’intensité. Mais dans le lâcher-prise, il y a aussi la rencontre avec l’Amour, océan primordial.
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