Quand avez-vous été sérieux pour la dernière fois ? “Sois sérieux”, dit-elle… Le sérieux, le vrai ! Celui qui permet de jouer ! Alors, parlons de choses sérieuses…
“Au cours de mes 35 ans d’expérience professionnelle, je crois avoir été vraiment sérieuse 4 fois.”
Elle, c’est Paula Scher, graphiste et artiste américaine, qui explique les tenants et abouttissants du sérieux et de la création dans : “Paula Scher gets serious”. En guise d’introduction, Paula reprend les mots de Russel Baker, journaliste chroniqueur… Qu’est-ce que le sérieux ? “Sois sérieux. Ce qu’on comprend par : sois solennel. Être solennel, c’est facile ; être sérieux est difficile. C’est difficile, pour la majorité des gens, d’estimer à sa juste valeur le sérieux, qui se fait plutôt rare. Faire du jogging – une chose somme toute banale et largement considerée comme étant saine –, c’est solennel. Le poker, lui, est sérieux. Washington D.C. est solennel. New York est sérieux. Assister à des conférences instructives qui vous plongent dans l'avenir, c’est solennel. Marcher longuement seul, en élaborant un plan infaillible pour dévaliser Tiffany’s, ça c’est sérieux !”
“Mon travail, c’est du jeu”, dit Paula. “Et moi, je joue en même temps que je crée… J’ai même pris le soin de vérifier dans le dictionnaire : la première définition du verbe jouer est : se livrer à une activité ou une entreprise enfantine ; la deuxième : parier de l’argent dans un jeu de hasard. Je sais bien que je fais les deux lorsque je crée : je suis à la fois enfant et joueur invétéré.”
Ainsi intervient le délicieux paradoxe du jeu sérieux ! “Le jeu sérieux arrive souvent spontanément, intuitivement, accidentellement ou incidemment. Il émerge de l’innocence, de l’arrogance, de l’égoïsme, parfois même de la négligence. Mais le plus souvent, le sérieux se manifeste grâce à tous ces éléments un peu fous du comportement humain qui échappent au sens… C’est parce que l’art du jeu sérieux s’interesse à l’invention, au changement et à la rébellion ; et non pas à la perfection.”
“La façon la plus sûre de réaliser un travail avec sérieux – et je pense que l’on est tous capable de le faire – c’est d’être totalement et complètement non-qualifié pour ce travail.”
Parfaitement ! Voilà quelque chose que j’ai vérifié moi-même. Les moments les plus intéressants professionnellement sont ceux qui m’ont permis d’être novice : quand on m’a confié l’identité visuelle du Groupe Accor (alors que je n'avais jamais créé d’identité visuelle), quand Í'ai commencé à recevoir des personnes en écoute (alors que je n’étais pas encore formée)… Voici donc les indicateurs d’une période riche, créatrice, sérieuse : être novice et se voir confier une mission qui nous dépasse ! Quelque chose de nouveau va pouvoir se révéler.
Quand la solennité s’installe, il est temps de rebrousser chemin ! “La seule chose qu’il vous reste, c'est de faire demi-tour et de trouver quelque chose de nouveau à explorer, à inventer, quelque chose dont vous n’ayez pas la moindre idée. Une chose avec laquelle vous puissiez être arrogant, échouer et faire l’imbécile. Parce qu’au bout du compte, c’est comme ça que l’on grandit… et c’est tout ce qui compte.”
Paula a résumé ses expériences avec un schéma (voir photo). “En fait, j’ai toujours vu le métier du designer comme un escalier surréaliste. Pendant la jeunesse, on fait des grands bonds en avant : c’est parce qu’on ne sait rien du tout et qu’il reste beaucoup à apprendre. Tout ce que l’on fait dans cette période est alors de l’apprentissage et on saute rapidement, de plus en plus haut. Au fur et à mesure que l’on vieillit, les marches deviennent plus basses et longues : on se déplace à un rythme plus lent, en faisant de moins en moins de découvertes.” Paula ajoute avec ironie :“On devient de plus en plus vieux et décrépi, en cheminant lentement le long de cet escalier déprimant qui mène à l’oubli… Donc j’avance progressivement là (en montrant l'étage des 60 ans) et je vais tenter de faire exploser l’escalier”, conclut elle ! Une belle leçon de sérieux…